Tel père, tel fils : gloire, solitude et mort unissent Ahmed Zaki et son fils

Dr Nesrine Choucri Mardi 17 Novembre 2020-12:54:07 Chronique et Analyse
Ahmed Zaki et son fils
Ahmed Zaki et son fils

Né sous le signe du scorpion, l’acteur Ahmed  Zaki a marqué à jamais le cinéma égyptien. Il ne savait pourtant pas que le mois de sa naissance (il est né le 18 novembre) sera celui de la mort de son fils unique Haytham Ahmed Zaki (7 novembre 2019). Une année s’est écoulée depuis la disparition du fils et plus de 15 ans se sont écoulés depuis le décès du père. Entre ces dates, beaucoup d’images, de souvenirs et de films restent inoubliables. Les deux sont morts à un âge relativement jeune, ils ont grandi dans la solitude et sont idolâtrés par leurs fans. Tel père, tel fils ! 

 

 

 

A l’occasion de la commémoration de l’anniversaire d’Ahmed Zaki le 18 novembre, le Progrès Egyptien a décidé d’emmener ses lecteurs à la découverte de la famille Zaki. L’histoire de stars sans pareilles et d’une fin qui a fait verser beaucoup de larmes. Il faut commencer par Ahmed Zaki, le père, ce provincial qui a quitté son village à la recherche de son rêve au Caire et qui a su devenir un acteur de première classe, même s’il ne remplissait pas les règles de la beauté et de l’élégance de l’époque. Surnommé « l’Empereur », Zaki est né le 18 novembre 1949 à Zaqaziq. Fils unique, il perd son père à un jeune âge. Sa mère se remarie aussitôt et l’enfant est confié à son grand-père. Dans cette belle province du Delta, Zaki va grandir et poursuivre ses études. Il obtient son brevet et entame des études techniques. Le directeur de l’époque voit en lui un acteur en herbe et le conseille de faire du théâtre.  

A l’occasion d’une fête scolaire, des acteurs et des artistes voient en Zaki un véritable potentiel. Suite à ces encouragements, Zaki s’inscrit à l’Institut du théâtre. Durant les études, il commence déjà sa carrière. En 1973, il prend part à la pièce de théâtre « Hello Chalabi ». Il se fait remarquer dans les pièces de théâtre qui ont suivi comme « L’école des turbulants » (Madrasat Al-Mochakhébine), « Nos enfants à Londres » (Awladouna fi london), « Les enfants ont grandi » (Al-Ayaal Kibret). Il devient également la star de feuilletons inoubliables comme « Les jours » qui incarne la vie du grand écrivain Taha Hussein. C’était un vrai début pour l’acteur, il parvient à montrer son talent et son charisme. Dès lors, Zaki commence à se forger une image irremplaçable et imbattable. Les portes du cinéma s’ouvrent à lui et il interprète un rôle culte dans le film « Je ne mens pas, je m’embellis » (Ana la akzeb, wa lakeni atgamal). Aux côtés de l’actrice Assar Al-Hakim, Zaki traite un sujet tabou : les enfants des croque-morts sont-ils intégrés dans la société ? Doivent-ils rester à l’écart en dépit de leur culture et de leur éducation ? Mentir pour s’embellir et éviter les questions trop choquantes est-il acceptable ? Bref, le film est l’un des classiques du cinéma arabe. A partir de là, Zaki a rendez-vous avec la gloire : des films réussis, des prix, et un mariage avec l’une des beautés de l’époque : l’actrice Hala Fouad. Ce mariage a donné lieu à son fils unique : Haytahm Ahmed Zaki. Le mariage ne durera pas longtemps, Zaki ne se remariera jamais. Hala Fouad se remariera, mais mourra très jeune laissant deux fils.  

Les premiers pas de Zaki sont mémorables : la première pièce de théâtre à laquelle il a pris part s’intitulait : « Hamada et Maha » en 1967. Il y imitait le grand dramaturge et acteur Mahmoud Al-Méligui, il n’avait pas encore forgé son style. En 1972, il fait sa première apparition au cinéma dans le film « Mon fils » (Waladi) interprété par le grandissime Farid Chawki. Puis, la première fois qu’il devient un acteur de premier rang, c’est dans le film culte « Chafika et Metwalli »  aux côtés d’une actrice de calibre « Soad Hosni ». Avec Hosni, il a également présenté au mois de Ramadan, le feuilleton « Howa we Hiya » (Lui et Elle). Son nom est lié à des films qui ont connu un grand succès et qui ont eu une influence hors pair sur la vie intellectuelle dans les années 80 et 90. On peut citer parmi ces films : Iskendiria lih ? (Alexandrie pourquoi ?), Al-Batnyiah, Ta’er ala al-tarik (Un oiseau sur le chemin), Oyoune la tanam (Des yeux qui ne s’endorment pas), Mowid ala al-achaa (Rendez-vous au dîner), Zawguet ragol mohem (Epouse d’un homme important), Al-Bari’e (L’innocent). Sa carrière atteint son apogée lorsqu’il incarne le personnage de Gamal Abdel-Nasser dans le fameux film « Nasser 56 » tourné en noir et blanc pour être authentique.  

« Nasser 56 » raconte un épisode particulier de l’histoire de l’Egypte, lorsque les Egyptiens ont libéré le Canal de Suez de l’emprise des Français et des Britanniques. La partie très positive de l’histoire de Nasser où il a accumulé des succès et des victoires. Zaki a su incarner ce rôle avec subtilité. D’abord, il se fait opérer du nez pour se métamorphoser physiquement et se rapprocher du caractère de Nasser. Nul ne s’attendait à ce que Zaki parvienne à incarner Nasser avec autant de réussite surtout que les deux personnes sont très différentes physiquement et psychiquement. Mais la vraie réussite est le film « Les jours de Sadate » (Ayam Al-Sadate). Là, on dirait que toute l’expérience de Zaki s’est cristallisée dans ce film : Zaki est réellement entré dans la peau d’Anwar Sadate, prononçant les mots comme lui. Sidérés, les téléspectateurs ont eu l’impression que le Président défunt Anwar Al-Sadate est sorti de sa tombe et qu’il est devant leurs yeux. Un effet doublé par la présence de l’actrice Mervat Amine à ses côtés. Celle-ci ressemble corps et âme à Gihane Al-Sadate, épouse de l’ancien Président. Le public a retenu son souffle pendant le visionnement du film, ayant l’impression d’avoir voyagé dans le temps.  

Un succès qui devait se poursuivre avec l’incarnation du chanteur Abdel-Halim Hafez (le Rossignol). Malheureusement, le cancer des poumons ne lui donnera pas la chance d’interpréter ce rôle. Zaki va mourir durant le tournage du film, laissant un vide que son fils Haytham Ahmed Zaki devait remplir. Malheureusement, le film « Halim » ne connaîtra pas autant de succès. Zaki n’y a joué que quelques scènes en étant mourant. Son fils, Haytham, a pris le relais juste un mois après la mort de son père. Attristé et assommé par la perte de ses deux parents, Haytham n’a que 20 ans. Il est incapable de surmonter sa peine et d’incarner pleinement le personnage. Il est marqué par l’amertume, le film n’échoue pas, il ne réussit non plus pas. Tout le monde fait la comparaison entre Haytham et son père. Une comparaison injuste. Cela n’a pas empêché Haytham de poursuivre sa carrière artistique. L’année suivante, il incarne un rôle compliqué dans le film « Al-Biliatchou » (Le clown). Pendant trois ans, Haytham prend un recul et repense sa carrière d’acteur. Il ne revient qu’en 2010 dans le feuilleton « Al-Jamaa » (La Confrérie). Il réalisé cette fois-ci un succès foudroyant qui lui ouvre la porte royale du petit et duy grand écran. Le  feuilleton « Dowaran Choubra » (La place Choubra) lui a valu le prix du meilleur jeune acteur. Sa carrière n’est pas aussi riche et longue que celle de son père, non pas parce qu’il manque de talent, mais parce que sa vie est écourtée par une mort subite le 9 novembre 2019. A l’âge de trente-cinq ans, Haytham s’éteint. Le même âge que sa mère l’actrice Hala Fouad lorsqu’elle a quitté ce monde. Son père n’avait pas vécu jusqu’à l’âge de soixante ans. Le dernier film de Haytahm était « Al-Kenz 2 » (Le trésor 2). C’est sa fiancée qui a découvert sa mort. Ses amis ont fait construire une mosquée qui porte le nom de « Haytham Ahmed Zaki » pour l’honorer après son départ vers l’au-delà.  

Dans beaucoup de choses, le père et le fils se ressemblent : les deux ont vécu la solitude et ont grandi loin de leurs parents. Zaki a perdu son père, sa mère l’a quitté chez son grand-père pour se remarier. Haytham a perdu sa mère, Zaki l’a laissé chez sa grand-mère. Leur destin s’est noué et finalement, père et fils sont enterrés l’un à côté de l’autre. Le destin a voulu que le mois qui a vu la naissance de Zaki soit le même où a eu lieu la mort de son fils ! L’histoire de la famille Zaki rappelle à quel point le prix de la gloire est parfois amer ! Père et fils ont laissé un vrai vide sur l’écran et beaucoup d’amour dans le cœur de leurs fans qui commémorent chaque année l’anniversaire de leur mort.

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